| AVERSION, subst. fém. Phénomène affectif pouvant atteindre tous les degrés depuis la répugnance physique et instinctive jusqu'à la haine calculée contre quelque chose ou quelqu'un. Quasi-synon. antipathie, dégoût, répulsion :1. Chaque homme, dans sa conversation habituelle, n'a-t-il par ses formules favorites, ses mots coutumiers nés de son éducation, de sa profession, de ses goûts, appris en famille, inspirés par ses amours et ses aversions naturelles, par son tempérament bilieux, sanguin ou nerveux, dictés par un esprit passionné ou froid, calculateur ou candide?
Vigny, Lettre à Lord,1829, p. 272. 2. Chaque chose, y compris le mal et la négation, tend à se dilater, à augmenter son être. Le rien veut être quelque chose et le quelque chose être tout. Ainsi la froideur devient éloignement, l'éloignement antipathie, l'antipathie aversion. Une étincelle devient incendie. Une égratignure devient une plaie, une négligence devient une ruine, la mauvaise humeur peut arriver à l'exaspération.
Amiel, Journal intime,1866, p. 47. A.− [L'objet de l'aversion désigne une pers. ou un groupe de pers.] 1. Dans le domaine des relations humaines affectives ou amoureuses : 3. MlleConstance De Rochechouart était promise depuis trois ans au premier parti de ce pays-ci, à M. De Luxembourg, capitaine des gardes. Au moment de l'épouser elle a déclaré qu'elle sentait pour lui une aversion insupportable, et plus d'inclination pour son cousin Roger De Damas, neveu de M. Du Châtelet.
Mmede Staël, Lettres de jeunesse,1788, p. 232. 4. Il est difficile de concevoir en effet comment un homme qui saurait qu'il est pour tous les autres un objet d'aversion ou de dégoût, pourrait avoir quelque sentiment d'amour-propre ou de complaisance en lui-même...
Maine de Biran, Journal,1823, p. 384. 5. MmeX..., qui a reçu l'avis de son changement, en a pleuré, la pauvre femme, toute une journée, − et nous aussi − ce qui m'inspire une solide aversion contre sa remplaçante.
Colette, Claudine à l'école,1900, p. 15. 6. Huit jours plus tard, on a malheureusement su, ce que ça nous coûtait, sa promenade! J'étais atterré : De Scève avait parlé avec une aversion, une rancune qui lui tordaient les lèvres : il haïssait certainement Erlane... Et je le comprenais! Erlane, scandaleusement incapable, ahuri, grotesque, servile comme tous les faibles, stupidement menteur comme tous les enfants, ne pouvait qu'humilier un chef comme De Scève, faire tache dans sa compagnie, l'exaspérer par sa couardise. Je l'admettais!
Vercel, Capitaine Conan,1934, p. 160. Rem. Aversion à l'égard de l'autre sexe (cf. Bastin 1970). 2. Dans le domaine des relations sociales, publiques : 7. Mais, disons-le, son aversion des prêtres était idiosyncrasique. Il n'avait pas besoin pour les haïr, d'en être haï.
Hugo, Les Travailleurs de la mer,1866, p. 118. 8. À peine se retrouva-t-il dans ce milieu de politiciens et de snobs qu'il fut ressaisi d'une aversion pour eux plus violente encore que naguère : car, dans ses mois de solitude, il s'était déshabitué de cette ménagerie.
R. Rolland, Jean-Christophe,La Foire sur la place, 1908, p. 822. − Fam., vieilli. Bête d'aversion. Personne ou chose pour laquelle on éprouve une aversion insurmontable. C'est ma bête d'aversion (Ac. 1835-1932) : 9. La haine qu'elle tentait d'écarter depuis le matin ne cessait de la roidir. Gaspard n'avait parlé que de soupçons sur le bossu, mais elle l'avait entendu à demi-mot... Elle regardait ses mains, les retournait, lentement. Voilà que j'aurai mes bêtes d'aversions moi aussi : ce bossu, je le hais, je ne lui pardonnerai jamais, je ne peux rien à cela.
Pourrat, Gaspard des montagnes,La Tour du Levant, 1931, p. 215. − [En parlant d'un inanimé] Chez Stendhal (Vie de Henry Brulard, 1836, p. 130) : « l'hypocrisie » et le « vague » mes deux bêtes d'aversion. Rem. Méd. ,,Ce mot a été pris autrefois dans le même sens que révulsion. L'aversion est un sentiment qui nous éloigne de qqc.`` (Nysten 1814). B.− [L'objet de l'aversion désigne une chose] 1. [Un objet concr., une activité manuelle] :
10. Même au temps où il était heureux, il avait toujours aimé les bêtes; il ne pouvait supporter la cruauté à leur égard; il avait pour la chasse une aversion qu'il n'osait pas exprimer, par crainte du ridicule; peut-être n'osait-il pas en convenir avec lui-même, mais cette répulsion était la cause secrète de l'éloignement qu'il éprouvait pour certains hommes : jamais il n'aurait pu accepter pour ami un homme qui tuait un animal, par plaisir.
R. Rolland, Jean-Christophe,Le Buisson ardent, 1911, p. 1411. 11. Les noirs matins d'hiver, à sept heures, je me rendormais assise, devant le feu de bois, sous la lumière de la lampe, pendant que ma mère brossait et peignait ma tête ballante. C'est par ces matins-là que m'est venue, tenace, l'aversion des longs cheveux...
Colette, La Maison de Claudine,1922, p. 114. 2. [Une activité intellectuelle, une manière d'être ou de penser] Avoir de l'aversion pour l'étude, la lecture, l'instruction publique, le grec, pour l'intrigue et la fausseté : 12. Dingley avait rassemblé sur la tête d'un petit homme né de lui toutes les tendresses de son cœur. Aussi pénétra-t-il dans ces régions de la souffrance où l'homme de génie et l'imbécile ne se distinguent plus. Son aversion de la littérature fut, un temps, si profonde, son sentiment de la vanité littéraire si absolu qu'il crut que son imagination était morte et qu'il n'écrirait plus jamais.
J. et J. Tharaud, Dingley, l'illustre écrivain,1906, p. 115. 13. Beyle déconsidère par trop l'imagination humaine. Par aversion pour le clinquant, il fait trop fi des richesses de la parole et des magnificences légitimes qu'en tirent la passion, la fantaisie ou l'éloquence.
Barrès, Les cahiers,t. 5, 1906-07, p. 23. SYNT. a) Verbaux : avoir, prendre, tenir qqc. ou qqn en aversion; concevoir, éprouver, manifester, sentir (de l'), une aversion (contre) pour qqc. ou qqn; avoir l'aversion de qqc.; inspirer de l'aversion à qqn; vaincre une aversion; être un objet d'aversion pour qqn. b) Aversion + adj. une aversion aveugle, complète, excessive, immodérée, irraisonnée, instinctive, insurmontable, invétérée, invincible, naturelle, profonde, unanime, violente. PRONONC. : [avε
ʀsjɔ
̃]. Enq. : /aveʀsjõ/. ÉTYMOL. ET HIST. − 1. xiiies. « égarement » (Trad. Bible française, Rom., 19, 521 ds Quem : L'aversion des petits les occira e la prosperité des soz les destruira); 2. 1636 Corneille, Le Cid, v, 1, ds Littré. 3. 1537 méd. « détournement, révulsion » (J. Canappe, 4eLivre de Thérapeutique de Galien ds Fr. mod., t. 18, 1950, p. 270); 1575 « id. » (Paré, IX, 10 ds Hug. : Il ne faut aussi craindre faire aversion du sang vers les parties nobles).
Empr. au lat. aversio « action de détourner »; fig. de rhét. par laquelle l'orateur détourne l'attention des auditeurs du sujet traité (Quintilien, Inst., 9, 2, 38 ds TLL s.v., 1317, 69), sens empr. au xvies. (Hug.); au sens de « dégoût, répulsion » en b. lat. (ives., Dict., 4, 18, ibid., 1317, 53). STAT. − Fréq. abs. littér. : 554. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 016, b) 801; xxes. : a) 459, b) 782. BBG. − Bach.-Dez. 1882. − Bastin 1970. − Foi t. 1 1968. − Dul. 1968. − Goblot 1920. − Goug. Mots t. 2 1966, p. 28. − Marcel 1938. − March. 1970. − Méd. Biol. t. 1 1970. − Nysten 1814. − Piéron 1963. − Pierreh. Suppl. 1926. |